L'âge d'or de la soie à Maebashi
Maebashi, aujourd’hui une ville discrète du Japon, fut autrefois un centre névralgique du commerce de la soie. Dès la fin de l’époque Edo et tout au long de l’ère Meiji (1868-1912), la ville s’est imposée comme un pilier de l’industrie séricicole japonaise, exportant sa production vers le monde entier. Son essor était étroitement lié aux vastes plantations de mûriers qui entouraient la ville et fournissaient une matière première de haute qualité aux éleveurs de vers à soie.

Ce succès ne fut pas un hasard. L’impulsion donnée par l’ouverture du Japon au commerce international et l’adoption de nouvelles techniques de filature permirent à Maebashi de devenir un moteur économique de la région de Gunma. La ville accueillit plusieurs manufactures modernes, parmi lesquelles des filatures mécaniques inspirées des méthodes européennes, notamment celles mises en place après la fondation de la Filature de Tomioka en 1872, non loin de là. Ce site, aujourd’hui inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, fut une référence pour la production de soie brute à grande échelle et influença profondément les industries locales de Maebashi.

Au tournant du XXᵉ siècle, la soie devint un véritable symbole de prospérité pour la ville. Les marchands, enrichis par ce commerce florissant, firent construire des bâtiments imposants, des magasins et des infrastructures modernes pour accueillir les voyageurs et commerçants venus de tout le pays. Les rues animées de Maebashi résonnaient du bourdonnement des négociations et de l’activité incessante des ateliers de tissage et de filature.
Mais ce qui fit la richesse de Maebashi contribua aussi, plus tard, à son déclin. L’industrie textile, bien que florissante durant l’ère Taishō (1912-1926) et le début de l’ère Shōwa (1926-1989), dut faire face à de profonds bouleversements économiques et technologiques qui allaient progressivement mettre un terme à cet âge d’or.
Les galeries de l’ère Shōwa : témoins d’une époque révolue
À l’apogée de son dynamisme économique, Maebashi n’était pas seulement un centre industriel prospère, mais aussi un carrefour commercial animé. Dès le début de l’ère Shōwa (1926-1989), la ville s’est dotée de galeries marchandes couvertes, connues sous le nom de shōtengai, qui devinrent le cœur vibrant de la vie urbaine. Ces galeries abritaient une multitude de boutiques familiales, de restaurants, de salons de thé et de petits commerces où artisans et commerçants proposaient des produits locaux, notamment des étoffes de soie et des vêtements de grande qualité.

À l’époque, ces galeries couvraient plusieurs rues commerçantes du centre-ville et formaient des espaces protégés des intempéries, rendant les achats plus agréables tout au long de l’année. L’architecture typique des shōtengai de Maebashi était marquée par de grandes arcades, des enseignes colorées et une atmosphère animée où se mêlaient clients fidèles et visiteurs venus de loin. En soirée, les lanternes suspendues aux façades des boutiques diffusaient une lumière chaleureuse, reflétant le dynamisme de la ville.
Cependant, à partir des années 1970, la modernisation des modes de consommation et l’essor des centres commerciaux en périphérie signèrent le début du déclin de ces galeries historiques. L’exode rural et la centralisation de l’économie japonaise vers Tokyo vidèrent progressivement Maebashi de son effervescence. L’implantation de grands complexes commerciaux comme l’Aeon Mall dans les zones suburbaines de Gunma détourna les habitants des shōtengai, qui commencèrent à se vider de leurs commerces traditionnels.
Aujourd’hui, ces galeries, autrefois florissantes, témoignent d’un Japon en mutation. Si certaines rues ont été rénovées et intégrées à des projets de revitalisation urbaine, beaucoup sont devenues des espaces fantômes, aux devantures abandonnées et aux volets clos. On y trouve encore quelques commerces tenus par des propriétaires âgés, derniers vestiges d’un passé commerçant désormais révolu.
Face à ce déclin, la municipalité et plusieurs initiatives locales tentent de redonner vie à ces espaces en encourageant l’installation d’artistes, de cafés indépendants et d’événements culturels, espérant insuffler une nouvelle dynamique à ce patrimoine en péril. Mais Maebashi, comme tant d’autres villes japonaises de taille moyenne, peine à rivaliser avec l’attractivité de Tokyo et doit encore trouver sa place dans le Japon contemporain.
Déclin industriel et perte de notoriété
Le déclin de Maebashi ne s’est pas produit du jour au lendemain, mais résulte d’une série de transformations économiques et sociales qui ont profondément remodelé le paysage industriel et commercial japonais au cours du XXᵉ siècle.
Le premier coup porté à la prospérité de Maebashi fut l’effondrement progressif de l’industrie de la soie. Après la Seconde Guerre mondiale, le Japon entama une phase de modernisation rapide qui favorisa le développement d’industries plus rentables, comme l’automobile et l’électronique. La production de soie, qui avait autrefois fait la fortune de Maebashi, fut peu à peu délaissée au profit de matériaux synthétiques comme le nylon et le polyester, jugés plus économiques et plus faciles à produire en masse. En parallèle, la mondialisation entraîna une concurrence accrue, notamment de la part de la Chine, dont la sériciculture coûtait bien moins cher. Cette évolution força de nombreuses filatures et manufactures locales à fermer leurs portes, laissant la ville orpheline de son principal moteur économique.
Le deuxième facteur du déclin de Maebashi fut son positionnement géographique. Contrairement à d’autres villes industrielles qui purent se réinventer grâce à leur proximité avec Tokyo ou Osaka, Maebashi souffrait d’un enclavement relatif. Bien que située à seulement 100 kilomètres de Tokyo, elle n’a jamais réussi à s’imposer comme une destination incontournable pour le tourisme ou les affaires. Son absence de connexion directe avec le Shinkansen (le train à grande vitesse japonais) la désavantagea face à d’autres villes de la région de Kantō, comme Takasaki, qui devint le hub ferroviaire de la préfecture de Gunma.
En parallèle, l’exode des jeunes générations vers les grandes métropoles aggrava la situation. À partir des années 1980, le vieillissement de la population et la désertification commerciale commencèrent à être visibles dans le centre-ville. Les shōtengai, autrefois animés, se vidèrent progressivement, et de nombreux bâtiments laissés à l’abandon témoignent encore aujourd’hui de cette déperdition. Les investissements municipaux dans des projets de modernisation n’ont pas suffi à endiguer cette tendance, car l’attrait de Tokyo reste irrésistible pour les jeunes actifs en quête de meilleures opportunités professionnelles.
Le coup de grâce fut porté par l’évolution des modes de consommation. Comme dans de nombreuses villes japonaises de taille moyenne, l’implantation de grands centres commerciaux en périphérie, accessibles en voiture, attira la clientèle locale au détriment des commerces traditionnels du centre-ville. Ce phénomène accentua la fragmentation urbaine et transforma le visage de Maebashi, qui passa d’une ville animée à une cité où coexistent des zones modernes bien entretenues et des quartiers délaissés.
Aujourd’hui, Maebashi peine à retrouver son lustre d’antan. Si elle reste la capitale administrative de la préfecture de Gunma, son rôle économique et culturel s’est considérablement amoindri. Toutefois, des initiatives émergent pour tenter de redonner vie à la ville et attirer une nouvelle génération d’habitants et d’entrepreneurs.
Initiatives de revitalisation culturelle : un souffle nouveau pour Maebashi
Consciente de son déclin, Maebashi tente depuis plusieurs années de se réinventer en misant sur la culture, l’art et l’innovation. Des initiatives publiques et privées ont vu le jour pour revitaliser le centre-ville et attirer une nouvelle génération d’artistes, de créateurs et d’entrepreneurs.
L’un des projets les plus emblématiques de cette renaissance est le Maebashi Galleria, un complexe artistique et commercial conçu pour dynamiser le cœur de la ville. Ce projet, inspiré des tendances observées dans des villes comme Kanazawa ou Naoshima, cherche à transformer Maebashi en un pôle d’expérimentation culturelle. Il accueille des galeries d’art contemporain, des studios pour artistes en résidence, ainsi que des boutiques et cafés branchés. L’objectif est de redonner à Maebashi une attractivité culturelle et d’encourager la créativité locale.

Par ailleurs, la municipalité a mis en place plusieurs événements culturels destinés à attirer les visiteurs et à redonner vie aux quartiers historiques. Des festivals de street art, des expositions et des concerts sont organisés dans les anciennes shōtengai, offrant une seconde vie à ces espaces désertés. Ces initiatives visent à encourager la réhabilitation des bâtiments anciens en lieux artistiques ou en cafés indépendants, redonnant un caractère plus chaleureux et dynamique au centre-ville.
L’université de Gunma, située à proximité, joue également un rôle clé dans ce renouveau. Des collaborations entre la ville et les étudiants en art et en design ont permis de repenser certains espaces publics et de proposer de nouveaux concepts urbains. Par exemple, des projets de réhabilitation de bâtiments abandonnés en ateliers créatifs ou en espaces de coworking sont en cours, avec l’idée de favoriser l’installation de jeunes entrepreneurs et artistes dans la ville.
Un autre levier de revitalisation est le tourisme durable et l’écotourisme. Maebashi étant située à proximité de superbes sites naturels, comme le mont Akagi et les sources thermales de Ikaho Onsen, certaines initiatives visent à repositionner la ville comme une porte d’entrée vers ces attractions. Des circuits combinant découverte du patrimoine industriel de la soie et expériences de plein air sont en développement, dans l’espoir d’attirer un public sensible à l’histoire et à la nature.
Cependant, malgré ces efforts, le défi reste immense. L’impact des initiatives culturelles demeure limité face aux tendances démographiques et économiques lourdes qui affectent Maebashi. La ville doit encore trouver un modèle durable qui lui permette de conjuguer héritage et modernité sans tomber dans l’oubli.
Maebashi aujourd’hui : entre héritage et renouveau
Maebashi est aujourd’hui une ville à la croisée des chemins. Son passé glorieux dans l’industrie de la soie, ses galeries marchandes de l’ère Shōwa et son centre historique témoignent d’une époque révolue, tandis que ses initiatives culturelles et urbaines tentent de lui redonner une nouvelle identité. Mais la transition est délicate, et la ville peine encore à trouver un équilibre entre préservation du patrimoine et adaptation aux réalités contemporaines.
Un défi majeur demeure : l’accessibilité. L’absence d’une connexion directe au Shinkansen rend Maebashi moins attractive pour les visiteurs et investisseurs, comparée à d’autres villes de la région de Kantō. Tant que ce frein structurel persistera, il sera difficile d’attirer un flux régulier de touristes et d’habitants souhaitant s’y installer sur le long terme.
Maebashi oscille donc entre nostalgie et réinvention. Ses vieilles galeries marchandes abandonnées rappellent son passé prospère, tandis que ses nouveaux espaces culturels tentent de lui insuffler un second souffle. Son avenir dépendra de sa capacité à se réinventer sans renier son histoire, à transformer son déclin en opportunité et à se positionner comme une alternative viable aux grands centres urbains.
La ville parviendra-t-elle à renaître ? Le défi est immense, mais Maebashi possède les ressources et l’histoire nécessaires pour y parvenir. Il ne lui reste plus qu’à trouver la bonne voie pour reconnecter son passé et son avenir.
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